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Des comportements d'intimidation à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence ?

Dernière mise à jour : 4 oct. 2022

Étude prospective des schémas d'intimidation d'élèves du CE2 à la 4e année scolaire


Synthèse de l’article : Fujikawa, S., Mundy, L.K., Canterford, L., Moreno-Betancur, M., & Patton, G.C. Bullying Across Late Childhood and Early Adolescence: A Prospective Cohort of Students Assessed Annually From Grades 3 to 8. Academic Pediatrics, 21(2), 344-351. doi: 10.1016/j.acap.2020.10.011

Synthèse rédigée par Daniela CIFUENTES et Mouna ECH-CHARII, Master 2 Psychologie du développement : éducation, troubles et problématiques actuelles, Université Paris 8.

“Plus d'un adolescent sur trois dans le monde est victime d'intimidation…”

(Wang et al., 2012)


Que sait-on de l’intimidation ?


L’intimidation peut se définir comme un comportement agressif intentionnel et répété dans une relation à autrui, caractérisé par un déséquilibre de pouvoir (Palaghia, 2019). Plusieurs études (Kowalski et al., 2014) témoignent des effets néfastes de l’intimidation au cours de l’enfance et au début de l’adolescence (Lepage et al., 2016). Les expériences d'intimidation vécues entre l’enfance et l'adolescence prédisent les problèmes de santé mentale ultérieurs, y compris la dépression et le taux de suicides. Bien que les études aient porté principalement sur l'intimidation fréquente, l'intimidation peut également être liée à des problèmes psychologiques. En effet, les preuves de liens entre l’intimidation et les troubles dépressifs ont conduit à l’inclusion officielle de l’intimidation dans l’étude Global Burden of Disease sur la charge mondiale de morbidité.

Quelle forme peut prendre l’intimidation ?


L’intimidation peut prendre la forme de : i) agression physique (lorsqu’il y’a un contact corporel entre deux personnes dans le but de blesser une des deux personnes concernées), ii) agression verbale (qui se définit par le fait d’insulter, menacer ou d’humilier une autre personne), iii) de la propagation de rumeurs ( lorsqu’une histoire ou information qui peut être vraies ou non et se propagent de personne à personne et peuvent devenir exagérées et altérées au fil du temps), ou iv) de l'exclusion sociale (lorsqu'une personne attaque la réputation d’une autre personne et l'exclut du groupe). Par ailleurs, il existe un phénomène plus récent d’intimidation qui a attiré l'attention du grand public, des politiciens et des chercheurs dans le monde entier. On parle de la cinquième forme d’intimidation, la cyberintimidation. Cette dernière peut prendre la forme d’un acte agressif et intentionnel perpétré de façon répétée par le biais de médias électroniques.

L'intimidation à l’adolescence


L’intimidation entre pairs constitue un phénomène connu dans les milieux scolaires et est considéré comme un facteur de risque de troubles mentaux chez les adolescents (Bond et al., 2001). Des recherches récentes identifient un lien entre l’intimidation et la dépression, l’anxiété et/ou les niveaux de stress à l’adolescence (Erskine et al., 2009). Cependant, peu de publications ont examiné la façon dont les modèles d'intimidation changent à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence, et en fonction du sexe des individus. Ces recherches n'ont également couvert qu'une partie de la période de prévalence maximale - fin de l'enfance ou début de l'adolescence - et de risque élevé pour l'apparition de la dépression et de l'anxiété. À l'exception de deux études qui se sont concentrées sur des périodes de développement plus longues et sur les intimidations traditionnelles (Troop‐Gordon et Ladd, 2005 ; Brendgen et al., 2016).

Déroulement de l’étude

Shinya Fujikawa et ses collaborateurs ont publié en 2021, dans la revue Academic Pediatrics, un article étudiant les comportements de l'intimidation et leurs évolutions à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence. L’objectif de l’étude longitudinale était d’établir la façon dont les modèles d'intimidation changent de la fin de l'enfance au début de l'adolescence, période de développement cognitif et socio-émotionnelle rapide.
Un échantillon aléatoire de 1239 élèves scolarisés en troisième année (CE2 en France) a été recruté dans 43 écoles primaires de Melbourne (Australie). La fréquence et la forme des intimidations ont été évaluées en fonction du sexe (garçons - filles) et de l’âge des participants, et classées en 6 catégories : physique, verbale, propagation de rumeurs, exclusion sociale, cyberharcèlement, ainsi que les intimidations multiformes. La collecte de données a été effectuée chaque année entre le CE2 et le 4ème (équivalent français) par le biais d’un questionnaire d'auto-évaluation, à l'aide d'items modifiés de l'échelle Gatehouse Bullying Scale (GBS) (Bond et al., 2007). La GBS est une échelle courte et fiable pour évaluer l'incidence des intimidations à l'école et au collège. Pour les formes d'intimidation (physique, verbale, propagation de rumeurs, exclusion sociale et cyberharcèlement), deux variables de catégorisation ont été dérivées : 1) « intimidation » : se référant à toute forme d’intimidation donnée au cours des 4 dernières semaines et 2) « intimidations fréquentes » : se référant aux intimidations au moins une fois par semaine au cours des 4 dernières semaines. Les intimidations multiformes ont été catégorisées en : « aucune », « forme unique » et « formes multiples ». Les élèves répondaient par « non » ou par « oui » aux questions. Les élèves ayant répondu « oui » ont été interrogés sur la fréquence de chaque expérience (« moins d'une fois par semaine », « environ une fois par semaine », « la plupart des jours ») afin de traiter la fréquence de l’intimidation comme des variables de la sévérité.

Quels résultats ont-ils obtenus ?


Sur les 1239 élèves recrutés, 1237 (99,8 %) ont répondu aux questions sur l'intimidation au moins une fois de le CE2 et la 4ème année (équivalents français) et étaient éligibles pour l’analyse. 86,2% d’entre eux ont signalé des intimidations à un moment donné de leur scolarité et 66,2% ont rapporté des intimidations récentes au moins une fois par semaine. Plus de 50% des élèves de CE2 ont déclaré des intimidations récentes et plus de 30% des intimidations fréquentes. Néanmoins, ces proportions ont considérablement diminué pour les garçons scolarisés en classe de 4eme.
Une exception ! La cyberintimidation a fortement augmenté chez les filles au début de l'adolescence avec le passage à l'enseignement secondaire.
Dans l’ensemble, des différences marquées sont observées entre les sexes dans les schémas d'intimidation à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence. Entre le milieu et la fin de l'école primaire, les formes plus explicites d'intimidation - notamment les taquineries et les intimidations physiques - ont nettement diminué.
Les intimidations physiques sont plus fréquentes chez les garçons mais elles diminuent avec le temps pour les deux sexes. En effet, les garçons montrent les baisses les plus importantes. Les filles connaissent une trajectoire plus soutenue d'intimidation au cours de cette période, ce qui pourrait être dû à une tendance à utiliser des moyens sociaux d'intimidation (par exemple, alimenter de fausses rumeurs sur quelqu’un, attaquer sa réputation, l’exclure d’un groupe ou encore l’utilisation des médias sociaux, etc.), plutôt que physiques comparée aux garçons.
Enfin, 35 % des élèves ont signalé des intimidations multiformes fréquentes, qui ont diminué avec le temps chez les garçons mais qui ont persisté chez les filles. Cette persistance pourrait contribuer à l'émergence de différences entre les sexes en matière de dépression et d'anxiété au début de l'adolescence !

Intimidation à l’adolescence, que peut-on retenir ?


Des taux élevés d’intimidation à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence ont été constatés pour les deux sexes dans l’étude de Fujikawa et al. (2021), mais une plus grande persistance d’intimidation a été trouvée chez les filles. Il est donc essentiel de surveiller les schémas d'intimidation à la fin de l'enfance et au début de l'adolescence afin de réduire les problèmes de santé mentale qui peuvent apparaître au cours de cette période de vie (Fujikawa et al., 2021). Cependant, le suivi des intimidations à l'école secondaire devient plus difficile car les formes cachées d’intimidation, y compris la cyberintimidation, deviennent plus fréquentes (Fujikawa et al., 2021).
Les interventions en matière d'intimidation, en particulier à l'adolescence, pourraient se concentrer plus utilement sur les formes cachées d'intimidation, notamment pour les filles, où la cyberintimidation est apparue comme une nouvelle menace pour leur santé mentale (Yeager et al., 2015). Bien qu'il existe un nombre croissant d'interventions fondées sur des preuves pour l'agression relationnelle, la plupart des programmes de prévention en classe se concentrent sur la résolution de problèmes et les compétences sociales, avec des tailles d'effet faibles et n'incluent pas la cyberintimidation.
De plus, lors de l'élaboration de futures stratégies de prévention, il serait utile d'étendre les programmes à tous les niveaux scolaires, en tenant compte de la raison, de la forme et du contenu de l’intimidation qui émergent au cours de chaque stade du développement.

RÉFÉRENCES
Bond, L., Carlin, J. B., Thomas, L., Rubin, K., & Patton, G. (2001). Does bullying cause emotional problems? A prospective study of young teenagers. Bmj, 323(7311), 480-484.
Bond, L., Wolfe, S., Tollit, M., Butler, H., & Patton, G. (2007). A comparison of the Gatehouse Bullying Scale and the Peer Relations Questionnaire for students in secondary school. Journal of School Health, 77(2), 75-79.
Brendgen, M., Girard, A., Vitaro, F., Dionne, G., & Boivin, M. (2016). Personal and familial predictors of peer victimization trajectories from primary to secondary school. Developmental Psychology, 52(7), 1103.
Erskine, H. E., Moffitt, T. E., Copeland, W. E., Costello, E. J., Ferrari, A. J., Patton, G., ... & Scott, J. G. (2015). A heavy burden on young minds: the global burden of mental and substance use disorders in children and youth. Psychological medicine, 45(7), 1551-1563.
Kowalski, R. M., Giumetti, G. W., Schroeder, A. N., & Lattanner, M. R. (2014). Bullying in the digital age: a critical review and meta-analysis of cyberbullying research among youth. Psychological bulletin, 140(4), 1073.
Lepage, C., Marcotte, D., & Fortin, L. (2006). L’intimidation et la dépression à l’école : analyse critique des écrits. Revue des sciences de l'éducation, 32(1), 227-246.
Palaghia, C. (2019). Le phénomène de l’intimidation à l’école. Perspectives victimologiques et criminologiques. Revista Universitară de Sociologie, 15(1 (HorsSer)), 121-134.
Troop‐Gordon, W., & Ladd, G. W. (2005). Trajectories of peer victimization and perceptions of the self and schoolmates: Precursors to internalizing and externalizing problems. Child development, 76(5), 1072-1091.
Wang, J., Iannotti, R. J., & Luk, J. W. (2012). Patterns of adolescent bullying behaviors: Physical, verbal, exclusion, rumor, and cyber. Journal of school psychology, 50(4), 521-534.
Yeager, D. S., Fong, C. J., Lee, H. Y., & Espelage, D. L. (2015). Declines in efficacy of anti-bullying programs among older adolescents: Theory and a three-level meta-analysis. Journal of applied developmental psychology, 37, 36-51.

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