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Dormir ou ne pas dormir ? « Bien dormir », telle est la question !

Si dormir est inné, bien dormir peut s’apprendre.

Synthèse de l’article : Rey, A. E., Guignard-Perret, A., Imler-Weber, F., Garcia-Larrea, L., & Mazza, S. (2020). Improving sleep, cognitive functioning and academic performance with sleep education at school in children. Learning and Instruction, 65, 101270. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2019.101270


Synthèse rédigée par Alexandra GERALDINI et Gabrielle DE MIL, Master 1 Psychologie du développement, Université Paris 8


Insuffisant, de mauvaise qualité, irrégulier… Des appréciations dignes d’un mauvais bulletin de notes. C’est pourtant le constat de l’état actuel du sommeil des enfants (Institut National du Sommeil et de la Vigilance, 2023).

Et si le sommeil devenait discipline scolaire ? Inscrire le sommeil au programme des apprentissages au même titre que les maths ou le français n’est pas une idée farfelue, c’est même profitable à bien des égards.

Le lien entre qualité du sommeil et performances académiques a fait ces dernières années l’objet de nombreuses études (Gruber, et al. 2014, 2016 ; Dunster et al., 2018). De même, le rôle du sommeil sur la concentration, l'attention mais aussi sur la consolidation des apprentissages a été largement démontré et continue aujourd’hui encore d’intéresser la recherche (Kuula et al., 2015, Klinzing et al., 2019 ; Mazza et al., 2022).

Pourtant, environ un tiers des enfants et adolescents présenterait un déficit de sommeil ou un sommeil de moindre qualité (Mindell & Meltzer, 2008 ; Owens, 2008). Éduquer au sommeil apparaît alors être un véritable enjeu.

Pour mener à bien cette mission éducative, des chercheurs et enseignants se sont associés afin d’élaborer un programme d’éducation au sommeil à destination des élèves, avec pour ambition de le généraliser à grande échelle : le programme ENSOM (EN pour Enfant et SOM pour Sommeil).

Au cours de l’année 2017, une équipe de chercheurs de l’Université de Lyon a mené une étude visant à évaluer les effets à court et long termes d’un tel apprentissage. L’article de Rey (2020) rend compte des résultats de cette étude.


Entre besoins et réalité : de la nécessité d’apprendre à dormir…

9 à 11 heures par jour : c’est le temps de sommeil recommandé par la National Sleep Foundation pour les enfants d’âge scolaire (Hirshkowitz et al., 2015). Pourtant, force est de constater que le compte est loin d’y être puisque plusieurs études rapportent un temps moyen de sommeil compris entre 8h et 8h30 pour les enfants âgés de 4 à 10 ans (Spruyt et al., 2011).

Cette dette tant quantitative que qualitative de sommeil est à l’origine de modifications comportementales (agitation, difficultés à réguler ses émotions…) et cognitives (déficit attentionnel, mémorisation…) (Maski & Kothare, 2013 ; Short et al., 2018), ce qui par ricochet a des effets négatifs sur les performances scolaires (Dewald et al., 2010).

Intervenir avant la chronicisation des troubles du sommeil apparaît dès lors essentiel. Quel meilleur agent pour cela que l’école ? En effet, lorsque l’on sait que les parents ont une perception erronée tant des besoins en sommeil (Owens & Jones, 2011 ; Schreck & Richdale, 2011) que du temps effectif de sommeil de leur enfant (Nelson et al., 2014), l’école a un rôle important à jouer dans l'amélioration et la réduction des inégalités en matière de santé (Basch, 2011).


Le programme ENSOM en quelques mots

ENSOM est un programme pédagogique d’éducation au sommeil à destination des élèves de Cycle 2 (CP, CE1 et CE2). Il se décline en 4 thèmes qui sont :

● Les rythmes de sommeil,

● Les rôles du sommeil,

● Les besoins en sommeil,

● Les amis, ennemis et bizarreries du sommeil.

Il comporte 2 leçons de 50 minutes chacune par thème (soit 8 leçons au total) pour lesquelles des supports variés et ludiques sont proposés.

Ce programme ambitionne de permettre aux enfants de mieux comprendre le sommeil et son rôle, et de les rendre responsables de leur sommeil et de leur santé. Afin de favoriser l’implication individuelle et familiale, les enfants sont invités à mener une petite enquête à la maison pour collecter des informations sur leur propre sommeil et celui des membres de la famille. De plus, la fin de chaque leçon comporte un petit conseil à retenir pour bien dormir.


La méthode utilisée pour tester le programme

Pour mettre ce programme à l’épreuve du terrain, les chercheurs ont choisi de mesurer son efficacité sur 130 enfants âgés de 8 à 9 ans, scolarisés en CE2 dans 5 écoles différentes, en évaluant les éléments suivants pour chaque enfant participant :

● Le sommeil (qualité, durée, temps d’endormissement, temps éveillé la nuit), mesuré par actigraphie à l’aide d’un petit bracelet qui enregistre les mouvements durant le sommeil, les temps d’immobilité, le temps passé éveillé au cours de la nuit et l’heure des temps d’éveil.

● Les performances cognitives (inhibition, mémoire à long terme, mémoire de travail, attention et flexibilité), évaluées au moyen de tests standardisés (dont la NEPSY - I et NEPSY - II).

● Les performances scolaires, évaluées d’après les bulletins scolaires.

Ces éléments ont été mesurés à 5 périodes données : avant et après un apprentissage sur un autre thème que le sommeil (T1 et T2), afin de servir la comparaison avec le programme spécifique ENSOM, puis avant et après le programme ENSOM (T3 et T4) et enfin un an après la fin du programme (T5).


Apprendre à dormir pour mieux dormir…mais pas seulement !

À la suite du programme ENSOM, les enfants se couchent plus tôt, dorment plus longtemps (31 minutes de plus en moyenne – voir Figure 1). Par ailleurs, ils s’endorment plus rapidement une fois au lit et se réveillent moins longtemps la nuit : ils ont ainsi un sommeil dit plus efficace. De tels résultats sont similairement observés dans toutes les écoles dans lesquelles l’étude a été réalisée.


Figure 1

Graphique représentant la durée de sommeil moyenne des élèves aux différents temps de l’étude, inspiré de Mazza et al. (2022)

Note : Moyenne des temps de sommeil de quatre des classes évaluées aux cinq temps de l’étude (une classe n’a pas réalisé les mesures par actimétrie) avec sur l’axe des ordonnées les 5 temps de mesure et sur l’axe des abscisses la durée de sommeil exprimée en heures + minutes. Les barres d’erreur représentent l’erreur-type et la partie colorée du tableau correspond au temps de sommeil minimum recommandé pour les enfants de cet âge. Graphique adapté de « Mieux dormir pour mieux apprendre. Synthèse de la recherche et recommandations », Mazza et al., 2022, (p.21).


De plus, les résultats mettent en évidence une évolution parallèle de la qualité et de la régularité du sommeil avec l’amélioration des performances scolaires et cognitives (à l’exception de la mémoire à long terme), ce qui fait écho aux études précédentes mettant en évidence une telle corrélation (Buckhalt, 2011 ; Kelly et al, 2013 ; Matricciani et al, 2013). Ces résultats démontrent notamment qu'une simple prolongation de 30 minutes à 1 heure de la durée du sommeil améliore les performances cognitives des enfants d'âge scolaire (Sadeh et al., 2016). Et surtout, ces améliorations se sont maintenues un an après la fin du programme.


Un programme aux effets ascendants, des enfants vers leurs parents

Un questionnaire de connaissances sur le sommeil administré aux parents avant et après que leur enfant ait suivi le programme montre que 83% des parents disent avoir amélioré leurs connaissances sur le sommeil. Les enfants partagent donc les connaissances acquises via le programme avec leur entourage, ce qui témoigne de la portée positive d’ENSOM au-delà des bénéficiaires primaires. Le succès d’ENSOM semble reposer sur sa co-construction entre les différents partenaires (enfants, enseignants et parents ; McDowall, et al., 2017).


En conclusion : intégrer un programme d’éducation au sommeil à l’école se révèle être une pratique prometteuse

Ces résultats montrent qu’il est non seulement possible mais également bénéfique de mettre en place un programme d’éducation au sommeil intégré au programme scolaire. Les bénéfices ont une triple portée : l’amélioration de la qualité du sommeil, l’amélioration des performances cognitives et académiques, et le partage des connaissances avec l’entourage proche. Par ailleurs, et c’est là un point fort de la méthode, les résultats sont durables, puisque les mesures prises un an après le programme mettent en évidence un maintien de ces différents bénéfices. Afin de valider ces premiers résultats, l’étude pourra être utilement répliquée sur les autres niveaux de classe du cycle 2 non-inclus dans la présente étude (CP et CE1).

Enfin, le programme ENSOM présente l’avantage de pouvoir être animé de manière autonome par les enseignants, ce qui le rend plus facile à mettre en œuvre dans le cadre d’un programme de santé à l'école. Si vous souhaitez en prendre connaissance, le programme détaillé ENSOM ainsi que ses différents supports pédagogiques sont téléchargeables gratuitement (sur le site www.memetonpyj.com). Cette libre mise à disposition en permet la diffusion à large échelle au sein des écoles volontaires, sur tout le territoire national.


RÉFÉRENCES

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Buckhalt, J. A. (2011). Insufficient sleep and the socioeconomic status achievement gap. Child Development Perspectives, 5, 59–65. https://doi.org/10.1111/j.1750-8606.2010. 00151.x.

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