Synthèse de l’article : Longobardi, C., Settanni, M., Fabris, M.A., & Marengo, D. (2020). Follow or be followed: Exploring the links between Instagram popularity, social media addiction, cyber victimization, and subjective happiness in Italian adolescents. Children and Youth Services Review, 113, 104955. https://doi.org/10.1016/j.childyouth.2020.104955
Synthèse rédigée par Julie MOULIN, Master Psychologie du développement : éducation, troubles et problématiques actuelles, Université Paris 8.
Instagram : reflet d’une bien triste réalité
Le lundi 4 octobre 2021, le célèbre réseau social Instagram a connu une panne mondiale. Vous en avez peut-être entendu parler et peut-être que cela a même eu des conséquences sur le déroulement de votre journée. En chiffres, cela équivaut à une perte de 3,6 milliards de minutes consacrées habituellement à Instagram, 125 millions de stories[1] non publiées et 53 millions de publications en moins. Ce moment a pu rappeler à quel point les réseaux sociaux étaient devenus indispensables pour certains.
Aujourd’hui, avoir un nombre de followers[2] important est devenu synonyme de popularité, les likes sont symbole de réussite, les commentaires et enregistrements de publications font grandir ce qu’Instagram nomme la “communauté”. On parle même de taux d’engagement : plus vous êtes suivi, plus vous avez le potentiel de développer un réseau. Mais alors, être suivi est-il vraiment synonyme d’avoir du potentiel ?
Qu’en est-il chez les adolescents ? Quels sont les conséquences de cette utilisation abondante des réseaux sociaux ?
L’étude de Longobardi et ses collaborateurs (2020) met en lien la popularité sur Instagram avec le cyber harcèlement et le bonheur subjectif auprès de 345 collégiens italiens. Les domaines suivants sont analysés et mis en corrélation : l’utilisation d’Instagram et du téléphone, le bonheur subjectif, l’utilisation addictive des réseaux sociaux et la cyber victimisation. Les résultats reflètent une détresse psychologique chez cette population sur laquelle il est urgent de se pencher.
L’adolescence : au cœur du changement
L’adolescence est décrite comme une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte qui s’accompagne de changements légaux, psychologiques, cognitifs et physiologiques. C’est un moment clé de choix et de décision avec des émotions amplifiées et une gestion parfois compliquée. Aujourd’hui, l’âge minimum pour s’inscrire sur Instagram est de 13 ans, les contrôles sont inexistants et des enfants et adolescents bien plus jeunes fréquentent ce réseau social. La popularité des réseaux sociaux chez les adolescents a suscité l’intérêt des auteurs, encourageant la recherche visant à établir leur influence sur les comportements à risque des utilisateurs.
Instagram : les dérives d’un réseau…
L’objectif de l’étude de Longobardi et al. (2020) est d’examiner le lien entre la popularité sur Instagram et le bonheur subjectif en mesurant la dépendance aux réseaux sociaux et les comportements de cyber victimisation. Les auteurs font l’hypothèse d’un lien positif entre le nombre de followers sur Instagram et le bonheur subjectif perçu par les adolescents. En raison des résultats déjà connus dans la littérature étrangère (Juvonen & Gross, 2008 ; Staksrud et al., 2013) il est attendu que la cyber-victimisation et la dépendance aux réseaux sociaux puissent agir comme des médiateurs négatifs.
… au sein de la population la plus concernée.
Afin de mesurer ces effets, 345 collégiens italiens ayant un compte Instagram actif ont été recrutés ; parmi ces adolescents, 49% de garçons d’un âge moyen de 13 ans. L’utilisation addictive des médias a été mesurée à l’aide de l’échelle italienne BSMAS (Bergen Social Media Addiction Scale) de la dépendance aux réseaux sociaux de Bergen (2017). Elle comprend 6 composantes qui sont la saillance, la tolérance, la modification de l’humeur, la rechute, le symptôme de sevrage et le conflit. Concernant le bonheur subjectif global, les auteurs ont utilisé la SHS (Students’ happiness was assessed by administering the Italian adaptation of the Subjective Happiness Scale (SHS; Iani, Lauriola, Layous, & Sirigatti, 2014) (2014). Dans les deux premiers items, les participants évaluent à quel point ils sont heureux en termes absolus sur une échelle de 1 à 7 (type Likert). Pour les deux autres items, ils ont évalué dans quelle mesure les énoncés caractérisant les personnes heureuses et malheureuses les décrivaient en utilisant le même type d’échelle. Concernant la dernière mesure, les auteurs ont utilisé la sous-échelle de cyber-victimisation du questionnaire de Pozzoli et Gini (2019), elle étudie l’implication dans différents rôles de la cyber-intimidation (la cyber-victimisation, cyber-intimidation, la cyber-observation passive et la cyberdéfense) en 4 items.
Des résultats conformes aux attentes
Après la récolte des données, les résultats montrent que le nombre de followers des adolescents a un effet indirect négatif sur le bonheur via une augmentation de la dépendance aux réseaux sociaux et de l’exposition à la cyber victimisation. En revanche, le nombre de followers des adolescents sur Instagram montre un effet indirect positif sur le bonheur subjectif via une diminution de la dépendance aux réseaux sociaux et de l’exposition à la cyber victimisation.
Plus précisément, les résultats semblent indiquer qu’à mesure que les adolescents deviennent plus populaires sur Instagram, cela augmente également le risque qu’ils développent un comportement de type addictif vis à vis de ce réseau et qu’ils subissent des cyber-agression. Cela a des conséquences et un impact négatif sans précédent sur le bien être psychologique et la santé mentale. Au contraire, les adolescents dont l’activité sur Instagram est plus passive, et moins dominée par les comportements de recherche de statut numérique pourraient être moins exposés à ces conséquences négatives.
Quelles conséquences sur la santé mentale des adolescents ?
Ainsi, les résultats semblent indiquer qu’à mesure que les adolescents deviennent plus populaires sur Instagram, les risques qu’ils développent un comportement de type addictif vis à vis de ce réseau et qu’ils subissent des cyber-agression augmentent. Cette popularité subjective a des conséquences et un impact négatif important sur le bien être psychologique et la santé mentale. Au contraire, les adolescents dont l’activité sur Instagram est plus passive, et moins dominée par les comportements de recherche de statut numérique pourraient être moins exposés à ces conséquences négatives.
Mais alors, comment agir ?
Les études récentes sur les réseaux sociaux et la santé mentale des adolescents font grand bruit à tel point qu’une dizaine d’Etats américains ouvrent une enquête sur l’impact d’Instagram sur les adolescents. Ils cherchent à déterminer si Instagram n’a pas délibérément laissé enfants et adolescents utiliser son réseau social tout en sachant qu’il pouvait être néfaste à leur santé mentale et physique, selon des documents internes révélés par la lanceuse d’alerte Frances Haugen (Berry, 2021).
En dépit des combats médiatiques et juridiques, différentes recommandations existent. L’âge de l’enfant doit être contrôlé. En effet, pour s’inscrire sur Instagram il faut avoir minimum 13 ans, même si nous savons que cela n’est pas toujours honoré, cette règle existe pour des raisons évidentes et doit être respectée. Il est préférable de fixer des temps d’écrans honnêtes. Pour plus de sécurité, il est également possible de mettre le compte en privé.
REFERENCES
Abran, G. (2021, 5 octobre). 125 millions de « stories » et 53 millions de photos en moins : la panne de Facebook et Instagram en 5 chiffres impressionnants. 24 heures. https://www.24heures.ca/2021/10/05/125-millions-de-stories-et-53-millions-de-photos-en-moins-la-panne-de-facebook-et-instagram-en-5-chiffres-impressionnants
Afp, A. P. B. (2021, 17 mars). Instagram veut mieux protéger les mineurs des prédateurs. 20 minutes. https://www.20minutes.fr/high-tech/3000235-20210317-instagram-veut-mieux-proteger-mineurs-predateurs
Berry, P. (2021, 18 novembre). Une dizaine d’Etats américains ouvrent une enquête sur l’impact d’Instagram sur les adolescents. 20 minutes. https://www.20minutes.fr/monde/3176143-20211118-dizaine-etats-americains-ouvrent-enquete-impact-instagram-adolescents
Frison, E., & Eggermont, S. (2017). Browsing, posting, and liking on Instagram: The re- ciprocal relationships between different types of Instagram use and adolescents' de- pressed mood. Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 20(10), 603–609. https://doi.org/10.1089/cyber.2017.0156
Iani, L., Lauriola, M., Layous, K., & Sirigatti, S. (2014). Happiness in Italy: Translation, factorial structure and norming of the subjective happiness scale in a large community sample. Social Indicators Research, 118(3), 953–967. https://doi.org/10.1007/ s11205-013-0468-7
Juvonen, J., & Gross, E. F. (2008). Extending the school grounds? Bullying experiences in cyberspace. Journal of School Health, 78(9), 496–505. https://doi.org/10.1111/j. 1746-1561.2008.00335.x.
Marengo, D., Settanni, M., & Longobardi, C. (2019). The associations between sex drive, sexual self-concept, sexual orientation, and exposure to online victimization in Italian adolescents: Investigating the mediating role of verbal and visual sexting behaviors. Children and Youth Services Review, 102, 18–26. https://doi.org/10.1016/j. childyouth.2019.04.023 .
Royal Society for Public Health (2017). Status of Mind: Social media and young people's mental health. Retrieved from: https://www.rsph.org.uk/our-work/campaigns/ status-of-mind.html.
Staksrud, E., Ólafsson, K., & Livingstone, S. (2013). Does the use of social networking sites increase children’s risk of harm? Computers in Human Behavior, 29(1), 40–50. https:// doi.org/10.1016/j.chb.2012.05.026.
Yurdagül, C., Kircaburun, K., Emirtekin, E., Wang, P., & Griffiths, M. D. (2019). Psychopathological consequences related to problematic Instagram use among ado- lescents: The mediating role of body image dissatisfaction and moderating role of gender. International Journal of Mental Health and Addiction, 1–13. https://doi.org/10. 1007/s11469-019-00071-8
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