Développement de la reconnaissance des visages et des émotions faciales de l’adolescence au début de l’âge adulte.
Synthèse de l'article : Meinhardt-Injac, B., Kurbel, D., & Meinhardt, G. (2020). The coupling between face and emotion recognition from early adolescence to young adulthood. Cognitive Development, 53. https://doi.org/10.1016/j.cogdev.2020.100851
Synthèse rédigée par Jeanne BEAUVAIS et Justine GIRAUD, Master 2 Psychologie du développement, Université Paris 8.
Les visages, source d’information émotionnelle
Les visages sont riches d'indications, ils permettent d’avoir accès à des informations à propos de l’identité et des états émotionnels d’autrui. La reconnaissance des visages et celle des émotions jouent un rôle essentiel dans les interactions sociales puisqu’elles permettent d’accéder à des messages sociaux déterminants dans la communication. En effet, des habiletés d’interactions et d’adaptations sociales impliquent la capacité à reconnaître des expressions du visage révélatrices de la nature, l’intensité et le degré de contrôle de l’émotion d’autrui. La capacité de comprendre les états mentaux d’autrui, également connue sous le nom de théorie de l’esprit, est une compétence sociale fondamentale dont l’acquisition commence très tôt, vers l’âge 15 mois (Baillargeon et al., 2010). L’apprentissage de la reconnaissance des visages se prolonge tout au long de l’enfance (Baker et al. 2017). A l’adolescence, le système perceptif du traitement des visages est stimulé par de nouvelles données liées à la puberté (par exemple les hormones pubertaires qui augmentent la motivation à maîtriser des tâches nouvelles centrées sur les pairs, entraînant ainsi des nouvelles composantes sociales du traitement des visages) et aux nouveaux défis du développement comme l’autonomie, la formation d’une identité personnelle(Picci & Scherf, 2016). Plusieurs études se sont intéressées à la reconnaissance des visages et des émotions chez les bébés et adultes mais peu ont porté sur les capacités qui se développent à l’adolescence alors même que cette période est marquée par une réorganisation cérébrale majeure, sociale et psychique (Cannard, 2019 ; Rodger et al., 2015).
L’objectif principal de la recherche de Meinhardt-Injac et al. (2020) est de répondre aux questions suivantes :
La reconnaissance des visages et le traitement des émotions complexes continuent-ils de s’améliorer au cours de l’adolescence et au début de l’âge adulte ? Ces deux types de reconnaissances sont-elles liées au cours de l’adolescence ?
Comment les chercheurs s’y sont-ils pris pour étudier la reconnaissance des visages et celle des émotions ?
316 participants ont été répartis en 3 groupes d’âges distincts : (i) les jeunes adolescents de 11 à 15 ans, (ii) les adolescents plus âgés de 16 à 19 ans et (iii) les jeunes adultes âgés de 20 à 24 ans.
Ils ont effectué une tâche d’appariement des visages de Glasgow (Glasgow Face Matching Task - GFMT ; Burton et al., 2010) qui consiste à montrer aux participants des paires d’images de visage aux participants. Ces derniers devaient indiquer s’il s’agissait ou non des mêmes visages. Ce test permet de rendre compte de la reconnaissance des visages à partir de leur identité.
Le traitement des émotions a été évalué à l’aide du Cambridge Face-Battery (CAM-F ; Golan et al., 2006). Il s’agit de reconnaître l’émotion complexe dans de courtes séquences vidéo (d’une durée de 3-5 secondes) de jeux d’acteurs. Les acteurs présents sur les vidéos jouaient un concept d’émotion complexe (par exemple consterné, nostalgique) et les participants devaient après chaque séquence de visionnage choisir parmi 4 adjectifs, celui qui décrit le mieux l’émotion représentée.
Les participants avaient reçu en amont du test un document contenant les définitions de tous les adjectifs utilisés dans la tâche afin de s’assurer qu’ils soient familiarisés avec chacun des mots présentés.
Quels résultats ont-ils obtenus ?
Concernant la reconnaissance des visages, les résultats montrent un score plus faible des jeunes adolescents comparé à celui des adolescents plus âgés et chez les jeunes adultes. Aucune différence n’a été obtenue entre les performances de reconnaissance des visages des jeunes adultes comparées à celles des adolescents plus âgés. Ce résultat illustre qu’à la fin de l’adolescence le traitement de l’identité faciale serait similaire à celui observé au début de l’âge adulte.
Les jeunes adultes présentent un score plus élevé de reconnaissance des émotions complexes que les adolescents plus âgés, ces derniers ayant également un score plus élevé que celui obtenu par les jeunes adolescents. Ce résultat montre que la reconnaissance des émotions continue à se développer, au moins, jusqu’au début de l’âge adulte.
Quant à la relation entre la reconnaissance des visages et celle des émotions, bien que les deux compétences se développent à un rythme différent, elles ne sont pas indépendantes. Les deux compétences sont plus fortement liées au début de l’adolescence qu’à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Leur lien évolue avec l’âge, ce qui témoignerait de l’existence d’un processus de spécialisation croissant dédié à la reconnaissance des émotions qui continue à se développer jusqu’à l’âge adulte. Ainsi cette étude va dans le sens d’une différenciation de ces compétences socio-cognitives.
Que peut-on conclure de ces résultats ?
Les résultats montrent que la reconnaissance des émotions continue à se développer au cours de l’adolescence, ce qui pourrait notamment expliquer le taux élevé de harcèlement observé à cet âge (Mathys & Claes, 2020). En effet, la reconnaissance et la compréhension participant à la fonction cognitive de l’empathie (Sticca et al., 2012), l’adolescent qui serait capable de reconnaître et de comprendre les émotions d’autrui serait moins souvent auteur de harcèlement (Fougeret-Linlaud et al., 2016). Cette étude appuie les recherches précédentes suggérant une maturation tardive du système de traitement des visages avec un développement prolongé des capacités de reconnaissance des visages (Golarai et al., 2007 ; Hills & Lewis, 2008) puisqu’elle montre que ces capacités seraient encore en cours de développement chez le jeune adolescent. Cela pourrait inciter la société à un regard plus compréhensif envers les adolescents, moins caricatural, et ainsi à la mise en place de méthodes plus adaptées de sensibilisation au harcèlement.
Quant au lien entre la reconnaissance des visages et celle des émotions, il se pourrait qu’aider les individus à mieux identifier les visages contribue au développement des émotions complexes et inversement. Cette hypothèse permettrait de développer de nouvelles méthodes thérapeutique ou outil thérapeutique dans l'objectif d’améliorer ces capacités socio-cognitives par exemple chez les individus présentant des troubles du spectre autistique (TSA). En effet, les personnes atteintes de TSA ont précisément des difficultés de communication et d’interactions sociales et c’est pourquoi il faudrait saisir les enjeux de la reconnaissance des visages et celle des émotions auprès de ces personnes.