Vers une éducation prospective
Synthèse de l’article : Aran Filippetti V. & Krumm G. (2020). A hierarchical model of cognitive flexibility in children: Extending the relationship between flexibility, creativity and academic achievement. Child Neuropsychology, 26(6), 770-800. doi.org/10.1080/09297049.2019.1711034
Synthèse rédigée par Thourayat SAID MOHAMED et Amandine MAOUCHE BEASSE, Master 1 Psychologie du développement : Education, Troubles et Problématique Actuelles
Université de Paris 8
A l’ère d’une recherche continue d’excellence, qui n’a jamais souhaité connaître les dessous de l’apprentissage scolaire afin d’aider son enfant à améliorer ses performances ?
Pourquoi la flexibilité cognitive est-elle importante ?
Face à une tâche scolaire telle qu’un problème arithmétique, une série de processus appelés fonctions exécutives est mobilisée. Selon Diamond (2013), ces fonctions font référence à « une famille de processus mentaux de haut niveau qui sont recrutés lorsque l’on doit se concentrer ou prêter attention, et lorsque l’intuition serait malavisée, insuffisante ou impossible ». Ces fonctions permettent à l’enfant de réguler son comportement, sa pensée et ses émotions, mais également de s’adapter à la consigne d’un exercice (ex : passer d’une addition à une soustraction dans le même problème). Son traitement cérébral fait alors appel à l’une d’elles nommée flexibilité cognitive qui représente la capacité de passer d’un comportement à un autre en fonction des exigences. Elle se joint aux capacités de lecture, d’écriture ou encore aux processus d’inférences, afin de nous permettre de comprendre ou de rédiger un texte.
Une récente méta-analyse a révélé une corrélation positive entre la flexibilité cognitive et la réussite scolaire (Yeniad et al., 2013). De même, Krumm et collaborateurs (2018) ont mis en évidence une association entre la flexibilité cognitive et la créativité chez les enfants, laquelle peut être définie comme la capacité pour ces-derniers de produire un travail original et adapté au secteur d’activité (Barbot et al., 2022).
Et s’il existait plusieurs types de flexibilité…
Aran Filippetti et Krumm (2020) font l’hypothèse que la flexibilité cognitive serait composée d’une flexibilité réactive et d’une flexibilité spontanée, qui correspondent respectivement à la capacité de modifier ses comportements face aux demandes changeantes de l’environnement (Eberbash et Hagedorn, 2011) et à la capacité de produire une diversité d’idées et de réponses inédites (Filippetti et Krumm, 2020). Dans de nombreuses études, la flexibilité a été mesurée soit par des tâches de flexibilité spontanée, soit par des tâches de flexibilité réactive de façon indifférenciée. Il est donc nécessaire de déterminer s’il s’agit de deux composantes distinctes de la flexibilité cognitive, ou s’il s’agit d’un construit général. A partir de ce modèle structural, les auteures émettent l’hypothèse que la flexibilité spontanée serait une forme de flexibilité de plus haut niveau que la flexibilité réactive. La capacité à utiliser la flexibilité spontanée lors d’une tâche prédirait alors le niveau de créativité et de réussite scolaire.
Mettre ces deux types de flexibilité en lumière permettrait d’étudier leurs développements distincts ainsi que leurs effets sur les compétences académiques et cognitives, et sur la créativité.
… lequel pourrait être un levier pour la réussite scolaire ?
Le double objectif de l’étude est de tester chez les enfants ce modèle structural de la flexibilité cognitive incluant la flexibilité spontanée et la flexibilité réactive, puis d’analyser leurs contributions dans les compétences académiques ainsi que dans la créativité. L’objectif général est alors de déterminer si l’une d’elles peut représenter un levier contribuant aux compétences académiques, qu’il soit direct ou indirect à travers la créativité.
Comment s’y sont-ils pris ?
La flexibilité spontanée comme forme supérieure de flexibilité
La première étude a été réalisée auprès de 112 enfants âgés de 8 à 12 ans et originaires d’Argentine. Les auteurs ont évalué leur flexibilité réactive et spontanée (Wisconsin Card Sorting Test, WCST ; Heaton et al., 1993), leur mémoire de travail (sous-test d’empan numérique et de séquençage des lettres et des chiffres du WISC-IV ; Wechsler, 2003), leur inhibition (Test de Stroop ; Golden, 1999) ainsi que leur intelligence (KBIT, test d’intelligence bref de Kaufman ; Kaufman et Kaufman, 2000). Des tâches de lecture (sous-test de compréhension de l’écriture de l’ENI ; Matute et al., 2007) et d’écriture (PROESC ; Cuetos Vega et al., 2004) ont également été administrées afin d’évaluer leurs compétences académiques. Une analyse factorielle confirmatoire a ensuite été réalisée pour comparer les modèles à un facteur et à deux facteurs afin de déterminer si un type de flexibilité aurait une dépendance significative avec une des mesures évaluées précédemment.
Les résultats de cette étude révèlent une significativité plus élevée pour le modèle a deux facteurs, comparativement à celui à un facteur, qui permet de valider le modèle structural de la flexibilité cognitive. La flexibilité réactive et de la flexibilité spontanée sont définies comme deux composantes liées mais distinctes. Seule la flexibilité spontanée serait liée à la mémoire de travail et à l’inhibition. Ceci en ferait une forme supérieure de flexibilité cognitive.
Les tâches utilisées lors cette étude nécessitant un recrutement de l’inhibition, de la mémoire de travail et de la créativité, les auteures ne peuvent généraliser l’effet prédicteur de la flexibilité spontanée sur les compétences académiques. Il est suggéré que la réussite scolaire en lecture et en écriture reposerait plus globalement sur la flexibilité de la pensée.
La créativité comme médiateur de la réussite scolaire
Par la suite, les auteures ont mené une seconde étude composée de 177 enfants âgés de 8 à 13 ans, vivant en Argentine. Ils ont également été soumis à une batterie de tests évaluant leur flexibilité, leur mémoire de travail, leur inhibition et leur intelligence. En plus de ces mesures, les enfants ont effectué des tests mesurant la créativité (Le créative intelligence, CREA ; Corbalan Berna et al., 2003).
Les résultats ont montré que l’inhibition, la mémoire de travail et la flexibilité réactive ne seraient pas liées à la créativité contrairement à la flexibilité spontanée. De plus, il a été mis en avant que plus la flexibilité spontanée d’un enfant est effective, plus il aura une pensée divergente (i.e. le processus de génération d’idées en quantité ; Decortis et Safin, 2015) et sera créatif, ce qui améliorera sa réussite scolaire.
Finalement, quelle est l’utilité de cette flexibilité spontanée ?
Ces études permettent d’établir une relation étroite entre la flexibilité spontanée d’une part et les compétences académiques et la créativité d’autre part, ce qui ouvre la voie à plusieurs opportunités pour l’éducation. La première concerne le diagnostic différentiel des difficultés d’apprentissages scolaires des enfants. Celui-ci sera facilité par la connaissance du type de flexibilité qui a un impact prédominant sur les apprentissages, à savoir la flexibilité spontanée. Une autre perspective importante à considérer est le développement d’une éducation prospective qui, en se basant sur une approche créative, dépasserait les schémas de pensée du présent afin d’imaginer des réalités alternatives du futur (Minichiello, 2015). L’adulte accompagnerait l’enfant dès son plus jeune âge dans le développement d’une pensée flexible et divergente afin qu’il développe son potentiel créatif ce qui augmenterait ses chances de réussite scolaire.