Synthèse de l’article: Van der Kaap-Deeder J., Bülow A., Waterschoot J., Truyen I., Keijsers L. (2023). A moment of autonomy support brightens adolescents’ mood: autonomy support, psychological control and adolescent affect in everyday life. Child Development, 1-13. DOI:10.1111/cdev.13942.
Synthèse rédigée par Estelle GRAND, Master 2 psychologie du développement, Université Paris 8.
Autonomie ou contrôle ?
L’adolescence est une période parfois redoutée par les parents car elle peut entraîner des conflits, dus notamment à la recherche d’autonomie. Les pratiques parentales encourageant l’autonomie sont importantes pour un développement optimal des enfants (Vasquez et al., 2016). Elles permettent notamment un meilleur développement social, une internalisation des règles et une plus forte motivation académique. A l’inverse, les pratiques contrôlantes pourraient conduire entre autres à des problèmes internalisés (tels que l’anxiété ou l’isolement) ou externalisés (tels que l’agressivité ou l’opposition), ainsi qu’à de plus mauvaises performances scolaires (Scharf & Goldner, 2018).
Les parents favorisant l’autonomie reconnaissent les besoins de leur enfant et montrent de l’intérêt pour ce qui leur plaît. A l’inverse, des parents contrôlants induisent ou culpabilisent leur enfant, le regard porté à leur enfant changeant en fonction de ses actions. Cependant, la parentalité est un processus dynamique comportant de nombreuses fluctuations au cours de la journée (Boele et al., 2020). Peu de recherches ont étudié les changements momentanés dans les pratiques parentales d’autonomie ou de contrôle. Cette étude se centre sur les effets des variations des interactions parent-adolescent à court terme. L’objectif est de mieux établir comment les pratiques parentales sont reliées, à plus ou moins long terme, aux émotions de leur adolescent.
Mesurer les interactions parent-adolescent à court terme
143 adolescents âgés de 11 à 18 ans et leur principale figure d’attachement (la mère pour 82% d’entre eux) ont participé à l’étude via l’expérience sampling méthode (ESM) durant sept jours. Cette méthode a l’avantage de se baser sur l’expérience des participants, plutôt que sur leurs souvenirs d'événements antérieurs. Les participants devaient répondre quotidiennement à de courts questionnaires (5 questionnaires/jour en semaine et 6/jour le weekend). Le questionnaire se composait de :
- 4 items de la Momentary Parental Autonomy Support Scale (MPASS) pour étudier les pratiques concernant l’autonomie (p.ex. « Mon parent a tenu compte de ma façon de voir les choses »),
- 4 items de la Momentary Parental Psychological Control Scale (MPPCS) pour mesurer les pratiques contrôlantes (p.ex. « Mon parent m'a forcé à penser, à ressentir ou à me comporter d'une certaine manière »),
- 5 items du Calendrier des affects positifs et négatifs pour enfant (PANAS) (Ebesutani et al., 2012) mesurant leurs émotions positives et négatives dans les heures précédentes.
Comparer les pratiques intra- et inter-familiales dans la vie quotidienne
Des analyses ont été faites au niveau intra-familial, afin d’étudier les effets simultanés et à retardement (3h plus tard) du type d’interaction parentale sur l’humeur des adolescents. Les auteurs ont également comparé les résultats au niveau inter-familial afin d’étudier les différences stables entre familles. Les résultats se centrent sur la perception des adolescents.
Les auteurs formulent les hypothèses suivantes :
Au niveau intra-familial (de manière simultanée et différée) :
- Les pratiques parentales encourageant l’autonomie seraient corrélées (liées) aux émotions positives et négativement corrélées aux émotions négatives ;
- A l’inverse, les pratiques contrôlantes seraient corrélées négativement avec les émotions positives et corrélées positivement avec les émotions négatives.
Au niveau inter-familial :
- Les pratiques parentales favorisant l’autonomie sont corrélées aux émotions positives et négativement corrélées aux émotions négatives ;
- Les pratiques familiales contrôlantes seraient corrélées aux émotions négatives et négativement corrélées aux émotions positives.
Les pratiques favorisant l’autonomie conduisent à des émotions plus positives
Tout d’abord cette étude permet de montrer que la perception qu'ont les adolescents du soutien à l'autonomie et/ou du contrôle psychologique de leurs parents n’est pas stable et peut varier d'une interaction à l'autre. Ces fluctuations dans le temps de la perception des parents sont liées au bien-être affectif quotidien des adolescents.
De manière générale, la perception des adolescents de la manière dont leur parent est soutenant ou contrôlant peut différer d’une interaction à l’autre. Lorsque le parent est perçu comme favorisant l’autonomie, les émotions ressenties par l’adolescent sont plus positives et moins négatives. Cela est également observé dans les trois heures qui suivent l’interaction, ce qui suggère que ces effets parentaux positifs peuvent perdurer. Ces pratiques étaient aussi liées à moins d’émotions négatives. De plus, l'affect positif de l'adolescent prédit des pratiques parentales plus favorables à l'autonomie lors de l'interaction suivante. Au contraire, l'affect négatif de l'adolescent prédit des pratiques plus contrôlantes de la part des parents. Il y a donc une réciprocité entre les relations soutenant l'autonomie d’une part et le bien-être des adolescents d’autre part.
Au niveau inter-familial, les pratiques parentales soutenant l’autonomie sont liées aux humeurs positives et liées négativement aux humeurs négatives. Les adolescents dans des familles caractérisées par de hauts niveaux d’autonomie et par un bas niveau de contrôle parental ressentent plus d’émotions positives et moins de négatives durant une période de 7 jours.
Le contrôle parental conduit à une humeur plus négative
Contrairement aux interactions encourageant l’autonomie, les interactions contrôlantes ne sont pas liées aux émotions positives mais sont liées aux émotions négatives. Les adolescents de parents contrôlants ressentent en moyenne plus d’émotions négatives. Toutefois, les auteurs ne concluent pas que les pratiques contrôlantes affectent le bien-être des adolescents, car ces pratiques n’impactent pas les émotions des adolescents sur le long terme. 3 heures après l’interaction contrôlante, les adolescents ressentent encore leur parent comme contrôlant mais cela ne prédit plus leur humeur négative.
Notons que l'affect négatif des adolescents est lié à l'augmentation du contrôle psychologique 3 heures plus tard. Plutôt que d'être affectés par leurs parents, les adolescents pourraient être considérés comme des agents actifs dans ce contrôle : l'affect négatif de l'adolescent peut susciter plus de contrôle psychologique (perçu) plus tard dans la journée.
Les bénéfices des pratiques parentales positives à long terme
Le but de l’étude était d’examiner les effets momentanés et à court terme sur l’humeur des adolescents en fonction des interactions parentales. Les interactions du parent favorisant l’autonomie ont un effet positif sur l’humeur de l’adolescent et cet effet perdure dans le temps. A l’inverse, les adolescents vivant dans des familles caractérisées par plus de contrôle psychologique ressentent plus d’émotions négatives, mais cet effet ne perdure pas à long terme.
Il serait intéressant de déterminer les relations entre style parental et humeur de l’adolescent à différents intervalles de temps, et notamment, de voir si les pratiques favorisant l’autonomie influent sur d’autres aspects que l’humeur des adolescents. Par exemple, les enfants bénéficiant de pratiques favorisant l’autonomie semblent avoir un meilleur fonctionnement exécutif (Bindman et al., 2015), des règles plus internationalisées (Laurin & Joussemet, 2017), une meilleure motivation scolaire et un sens de l’effort (Feng et al., 2019).
REFERENCES
Bindman, S. W., Pomerantz, E. M., & Roisman, G. I. (2015). Do children's executive functions account for associations between early autonomy-supportive parenting and achievement through high school? Journal of Educational Psychology, 107, 756–770. https://doi.org/10.1037/edu00 00017
Boele S., Denissen J., Moopen N., Keijsers L. (2020). Over-time Fluctuations in Parenting and Adolescent Adaptation Within Families: A Systematic Review. Adolescent Research Review 5, 317-339. https://doi.org/10.1007/s40894-019-00127-9
Feng, X., Xie, K., Gong, S., Gao, L., & Cao, Y. (2019). Effects of parental autonomy support and teacher support on middle school students' homework effort: Homework autonomous motivation as mediator. Frontiers in Psychology, 10, 612. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.00612
Laurin, J. C., & Joussemet, M. (2017). Parental autonomy-supportive practices and toddlers' rule internalization: A prospective observational study. Motivation and Emotion, 41, 562–575. https://doi.org/10.1007/s1103 1-017-9627-
Journal of Youth and Adolescence, 44, 1528–1541.https://doi.org/10.1007/s1096 4-014-0247-z
Ebesutani, C., Regan, J., Smith, A., Reise, S., Higa-McMillan, C., & Chorpita, B. F. (2012). The 10-item positive and negative affect schedule for children, child and parent shortened versions: Application of item response theory for more efficient assessment.
Journal of Psychopathology and Behavioral Assessment, 34, 191–203. https://doi.org/10.1007/s1086 2-011-9273-2
Scharf M. & Goldner L. (2018). “If you really love me, you will do/be…”: Parental psychological control and its implications for children’s adjustment. Developmental Review, 49, 16-30. https://doi.org/10.1016/j.dr.2018.07.002
Vasquez A. C., Patall E. A., Fong C. J., Corrigan A. S., Pine L. (2016). Parent Autonomy Support, Academic Achievement, and Psychosocial Functioning: a Meta-analysis of Research. Educational Psychology Review, 28, 605-644. DOI 10.1007/s10648-015-9329-z
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