Synthèse de l’article : Brezack, N., Pan, S., Chandler, J., & Woodward, A. L. (2023). Toddlers’ action learning and memory from active and observed instructions. Journal of Experimental Child Psychology, 232, 105670. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2023.105
Synthèse rédigée par Louise Pialoux, Étudiante stagiaire du laboratoire DysCo, Université Paris 8
La quasi totalité des actions réalisées au cours de la vie d’un individu s’effectue en fonction d’un apprentissage passé (comme c’est le cas de la marche ou du langage). Le comportement de chacun se modifie continuellement à la suite d’observations et d’interactions avec son environnement.
Les enfants apprennent en observant les adultes réaliser des actions ou en recevant des instructions de leur part. Par exemple, ils apprennent dès leurs plus jeune âge diverses actions associées à des objets spécifiques, comme le fait qu’une clé qui doit être glissée dans une serrure pour ouvrir une porte.
Ce processus d’apprentissage présent dès le plus jeune âge questionne de nombreuses équipes de recherche en psychologie et en neurosciences, notamment en vue de comprendre la manière dont les enfants apprennent le plus efficacement. C’est le cas de l’équipe de la chercheuse Nathalie Brezack. Les réponses obtenues servent aussi bien aux équipes enseignantes qu’aux parents.
A quelle question Nathalie Brezack et son équipe essaient-ils de répondre ?
Brezack et al. (2023) souhaitent déterminer si des instructions données de manière active (lorsque les tout-petits sont engagés activement dans le matériel de la tâche à apprendre) présentent un bénéfice additionnel par rapport à une simple observation de l’instructeur.
Qu’en disent les autres études scientifiques ?
Dans la littérature scientifique nous observons d’une part la capacité importante des jeunes enfants à imiter les actions des adultes, ce qui pousse à croire qu’être actif n’est pas forcément nécessaire à l’apprentissage (Beauer, 1996). D’autre part, les conclusions de nombreuses études scientifiques suggèrent que l’enseignement actif des instructions stimule et améliore l’apprentissage (Piaget, 1964), surtout dans un contexte où les instructions concernent des informations abstraites ou des concepts mathématiques (Sobel & Sommerville, 2010).
C’est dans le but d’apporter plus de précision à cette ambivalence présente dans la littérature scientifique que l’équipe de Brezack et al. (2023) ont réalisé cette étude, en émettant l’hypothèse que l’expérience active favoriserait l’apprentissage.
Comment l’équipe de recherche s’y est-elle prise ?
Ils ont recruté 46 enfants âgés de 22 à 26 mois (environ 2 ans). Pour participer à une procédure qui comportait 5 étapes différentes représentées dans la figure 1.
1. Un enseignant (formé en amont) avait pour objectif d’apprendre aux enfants participant à l’étude à assembler des jouets. L’assemblage d’un bonhomme de neige ou d’un épouvantail (en 3D) leur était enseigné de manière active. L’expérimentateur aidait les enfants à effectuer les actions adéquates si nécessaire, en répétant les instructions, en pointant les objets, en ajustant leur placement ou en faisant de brèves démonstrations des actions.
2. Puis, l’assemblage de la tête d’un animal, un chat ou un chien (en 2D), leur était appris de manière non active. L’enfant ne touchait pas les différentes pièces à assembler pour obtenir le visage (tel que les yeux, les oreilles, ou la bouche). Il devait mémoriser les actions en observant simplement l’instructeur.
3. Suite à ces 2 types d’apprentissage, un test a été réalisé : chaque enfant a dû assembler individuellement quatre types de jouets. Ils ont été évalués sur leur capacité à assembler le jouet de l’apprentissage actif, le jouet de l’apprentissage observé, ainsi que deux jeux inconnus mais similaires à ceux des deux apprentissages. Cette procédure permettait d’évaluer leur apprentissage et leur capacité de généraliser ces apprentissages.
4. Un test de développement cognitif (Bayley, 2006) a été réalisé dans le but de déterminer le lien entre les résultats obtenus aux tests et la maturité cognitive de l’enfant.
5. Afin de tester si la mémoire visuelle des enfants sur le long terme différait selon la façon dont les actions avaient été enseignées, l’équipe a réalisé un test de mémoire visuelle un an plus tard.
Figure 1 : Schéma récapitulatif des différentes phases de l’étude
Qu’en a conclu l’équipe ?
Contrairement aux hypothèses, les résultats n’ont mis en évidence aucune différence significative entre l’apprentissage actif et l’apprentissage observé. Ainsi, l’apprentissage est similaire, que les enfants aient ou non l’opportunité d’agir. Le score obtenu au test de maturité cognitive a été le plus fort prédicteur du résultat de l’enfant au test réalisé immédiatement après la séance d’apprentissage. C’est-à-dire que les enfants plus avancés ont présenté une meilleure performance lors de la tâche.
Concernant le test de mémoire visuelle réalisé un an après l’apprentissage, les enfants ont montré une meilleure mémorisation des jouets enseignés activement, comparativement à ceux enseigné par observation.
Conclusion
Les auteurs indiquent que si aucune différence n’a été observée pour le test réalisé à la suite de l’apprentissage c’est probablement parce que les deux conditions étaient extrêmement favorables à l’apprentissage et que les instructions étaient toutes deux instruites dans un contexte de forte collaboration et cela même lors de l’apprentissage observé. L’étude possède également ses limites étant donné sa réalisation durant la période du Covid-19, ce qui a notamment imposé la réalisation du test de mémoire en vidéo.
Les résultats du test de mémoire à long terme ont permis de mettre en évidence que l’expérience active a favorisé la reconnaissance visuelle des jouets assemblés un an plus tôt. Des recherches antérieures sur le sujet ont démontré (chez les adultes) que l’expérience active aide à la mémorisation grâce à la mise en mouvement et à la coordination des muscles du corps (Pouw et al., 2014). C’est ce qu’on nomme « l’effet d'encodage induit par la motricité » (Kinder & Buss, 2021).
Nous en concluons qu’il peut donc être plus intéressant d’apprendre une tâche aux tout-petits en les impliquant activement, afin qu’ils aient, sur le long terme, une meilleure mémoire visuelle des outils utilisés pour réaliser cette tâche.
REFERENCES
Bauer, P. J. (1996). What do infants recall of their lives? Memory for specific events by one- to two-year-olds. American Psychologist, 51(1), 29–41. https://doi.org/10.1037/0003-066X.51.1.29.
Kinder, K. T., & Buss, A. T. (2021). The effect of motor engagement on memory: Testing a motor-induced encoding account. Memory & Cognition, 49(3), 586–599. https://doi.org/10.3758/s13421-020-01113-6.
Piaget, J. (1964). Piaget rediscovered: A report on the Conference on Cognitive Studies and Curriculum Development. In R. E. Ripple & V. N. Rockcastle (Eds.), A report of the Jean Piaget Conferences at Cornell University and the University of California (pp. 7–20). Cornell University Press.
Pouw, W. T. J. L., Van Gog, T., & Paas, F. (2014). An embedded and embodied cognition review of instructional manipulatives. Educational Psychology Review, 26(1), 51–72. https://doi.org/10.1007/s10648-014-9255-5.
Sobel, D. M., & Sommerville, J. A. (2010). The importance of discovery in children’s causal learning from interventions. Frontiers in Psychology, 1. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2010.00176 176.
Somogyi, E., Ara, C., Gianni, E., Rat-Fischer, L., Fattori, P., O’Regan, J. K., & Fagard, J. (2015). The roles of observation and manipulation in learning to use a tool. Cognitive Development, 35, 186–200. https://doi.org/10.1016/j.cogdev.2015.06.002.
ILLUSTRATION: Freepik