Synthèse de l’article : « Gentzler, A. L., Hughes, J. L., Johnston, M., & Alderson, J. (2023). Which social media platforms matter and for whom? Examining moderators of links between adolescents’ social media use and depressive symptoms. Journal of Adolescence. https://doi.org/10.1002/jad.12243 »
Synthèse rédigée par Jennifer Gil, Master 2 de Psychologie, Université Paris 8.
Depuis leur popularité croissante dans les années 2000, l’utilisation des réseaux sociaux est omniprésente chez les adolescents. En France, 45% des 16-25 ans déclarent passer entre 3 et 5 heures par jour sur les réseaux sociaux (Diplomeo, 2022). Mais qu’en est-il de l’impact de cette utilisation sur la santé mentale de nos jeunes ? Les réseaux sociaux sont-ils forcément dangereux ?
Certaines recherches ont mis en évidence les effets néfastes des réseaux sociaux, les identifiants comme des précurseurs dans l’émergence de symptômes dépressifs (Ivie et al., 2020 ; Piteo & Ward., 2020) mais les résultats restent débattus. L’apparition ou non de symptômes dépressifs peuvent-ils être modérés par d’autres facteurs tels que le genre, la personnalité, l’estime de soi ou encore les pensées négatives vis-à-vis des réseaux sociaux ?
Réseaux sociaux et différences individuelles
Un usage plus accru des réseaux sociaux est associé à des symptômes dépressifs plus importants chez les adolescents (Kreski et al. 2021) mais ce résultat est modéré par les facteurs individuels. Les recherches ont montré des différences entre les filles et les garçons dans l’usage des réseaux. Les filles sont plus susceptibles d’utiliser Facebook, Instagram, Snapchat et TikTok alors que les garçons utilisent plus fréquemment YouTube et Twitter (Pew Research Center, 2022). De plus, les études suggèrent que l’extraversion et l’émotivité négative sont le plus souvent associées à l’utilisation globale des réseaux sociaux, cela prenant en compte l’intensité et la fréquence de l’utilisation et le temps passé sur les réseaux sociaux (Liu & Campbell, 2017).
Réseaux sociaux, différences individuelles et symptômes dépressifs
Une étude américaine menée par Gentzler et al. (2023) s’est intéressée aux caractéristiques individuelles des adolescents afin d’expliquer pourquoi l’utilisation des réseaux sociaux est associée à des symptômes dépressifs plus élevés chez certains adolescents par rapport à d’autres. Ils ont formulé 3 hypothèses :
- Les adolescents qui utilisent davantage les réseaux sociaux présentent plus de symptômes dépressifs concomitants.
- L’utilisation accrue des réseaux sociaux est plus fortement associée à des symptômes dépressifs chez les adolescents ayant une faible estime de soi, une émotivité plus négative, moins d’extraversion et des réactions plus négatives aux réseaux sociaux.
- L’association des caractéristiques individuelles et des symptômes dépressifs est plus forte pour les réseaux sociaux où les adolescents communiquent avec des étrangers et ont une utilisation passive de ceux-ci (YouTube, TikTok, Twitter et Instagram).
237 adolescents résidant aux États-Unis âgés de 14 à 16 ans ont dû répondre à différents questionnaires. Cette étude est divisée en trois vagues sur un an. La première vague permet aux chercheurs de connaître les informations socio-démographiques des participants et d’obtenir leur consentement. La deuxième vague se concentre sur les modérateurs (le genre, la personnalité, l’estime de soi et les émotions négatives) et sur les symptômes dépressifs de base chez les adolescents, 6 mois après la première vague. La troisième vague se déroule un an plus tard et prend en compte la fréquence d’utilisation des réseaux sociaux et les symptômes dépressifs concomitants (Voir Tableau 1).
Tableau 1. Tableau récapitulatif des trois vagues et des tests utilisés durant chaque phase.
Vague 1 | Vague 2 (6 mois plus tard) | Vague 3 (1 an plus tard) |
Identité raciale | Genre | Fréquences d’utilisation des réseaux sociaux – Questionnaire en Échelle de Likert |
Statut social subjectif – Échelle de MacArthur | Estime de soi – Échelle de l’estime de soi de Rosenberg | Symptômes dépressifs - The Child Depression Inventory (CDI-2) |
Consentement des parents et des adolescents | Personnalité – Big Five Inventory 2 |
|
| Réactions affectives négatives – Negative Affective Reactions to Social Media | |
| Symptômes dépressifs – The Child Depression Inventory (CDI-2) |
Existe-t-il un lien entre les caractéristiques individuelles et les différents réseaux sociaux ?
Le temps total passé sur les réseaux sociaux est associé à des niveaux plus élevés de symptômes dépressifs. Cependant, en examinant chaque plateforme séparément, les résultats montrent que Instagram, TikTok et YouTube sont significativement associés à des symptômes dépressifs concomitants, tandis que Facebook, Twitter et Snapchat ne sont pas significativement associés aux symptômes.
Quelles plateformes pour quelles caractéristiques individuelles ?
Les filles rapportent utiliser plus les réseaux sociaux que les garçons. De plus, elles utilisent davantage Instagram, Facebook et TikTok alors que les garçons utilisent plus Twitter et YouTube. Néanmoins, l’utilisation de Twitter chez les filles est plus associée aux symptômes dépressifs que chez les garçons. Les filles ont également rapporté avoir une plus faible estime de soi, une émotivité négative élevée et des symptômes dépressifs élevés durant les deux vagues, par rapport aux garçons. L’utilisation des réseaux sociaux par les filles est liée à de fortes réactions émotionnelles mais pas nécessairement liée à plus de symptômes dépressifs. En effet, les réactions émotionnelles des filles ne prédisent pas plus fortement les symptômes dépressifs que celles des garçons.
L’extraversion comme facteur principal des symptômes dépressifs ?
L’utilisation des réseaux sociaux dépendrait davantage des traits de personnalité. Les adolescents qui se considèrent comme faiblement ou moyennement extravertis et qui utilisent plus les réseaux sociaux (plus particulièrement Instagram), ont plus de symptômes dépressifs par rapport aux adolescents extravertis. Pour les adolescents ayant des pensées négatives, l’usage de TikTok est fortement lié aux symptômes dépressifs. Enfin, contrairement à ce qui était attendu, il n’y a pas de lien entre les réseaux sociaux, les symptômes dépressifs et une faible estime de soi ainsi qu’avec une émotivité négative.
Que faire pour protéger nos jeunes face aux effets négatifs des réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux ne sont pas forcément mauvais pour nos jeunes. Ils leur permettent de dialoguer avec leurs amis, leur famille, mais l’usage qu’ils en font peut engendrer des problèmes de santé mentale. Par exemple, l’usage important et passif est associé à plus de dépression ou un plus faible bien-être (Rousseau et al., 2017), les commentaires négatifs ont un impact négatif sur l’estime de soi (Jan et al., 2017) ou encore le fait de se comparer aux autres impacte l’estime de soi et peut donc engendrer des symptômes dépressifs (Wang et al., 2018). De ce fait, les réseaux sociaux ont un effet bénéfique s’ils sont utilisés pour maintenir le contact avec ses relations sociales. Cependant, cet effet peut devenir défavorable lorsque les adolescents les utilisent pour créer de nouveaux contacts ou parler avec des étrangers.
Conclusion
Ainsi, les résultats de cette étude ont montré que l’extraversion est un facteur de protection contre les symptômes dépressifs. Par conséquent, les professionnels et les parents doivent être plus attentifs aux adolescents introvertis et à ceux susceptibles d’avoir des réactions négatives par rapport aux contenus visibles sur les réseaux sociaux.
REFERENCES
Atske, S. (2022, 15 décembre). Teens, Social Media and Technology 2022 | Pew Research Center. Pew Research Center: Internet, Science & Tech. https://www.pewresearch.org/internet/2022/08/10/teens-social-media-and-technology-2022/
Bautier, M. (2023, 19 octobre). Réseaux sociaux : les 16-25 ans abandonnent Facebook pour TikTok. Diplomeo. https://diplomeo.com/actualite-sondage_reseaux_sociaux_jeunes_2022
Ivie, E. J., Pettitt, A., Moses, L. J., & Allen, N. B. (2020). A meta‐analysis of the association between adolescent social media use and depressive symptoms. Journal of Affective Disorders, 275, 165–174. https://doi.org/10.1016/j.jad.2020.06.014
Jan, M., Soomro, S. A., & Ahmad, N. (2017). Impact of social media on Self-Esteem. European Scientific Journal, ESJ, 13(23), 329. https://doi.org/10.19044/esj.2017.v13n23p329
Liu, D., & Campbell, W. K. (2017). The big five personality traits, big two metatraits and social media: A meta‐analysis. Journal of Research in Personality, 70, 229–240. https://doi.org/10.1016/j.jrp.2017.08.004
Piteo, E. M., & Ward, K. (2020). Review: Social networking sites and associations with depressive and anxiety symptoms in children and adolescents—A systematic review. Child and Adolescent Mental Health, 25(4), 201–216. https://doi.org/10.1111/camh.12373
Rousseau, A., Eggermont, S., & Frison, E. (2017). The reciprocal and indirect relationships between passive Facebook use, comparison on Facebook, and adolescents’ body dissatisfaction. Computers in Human Behavior, 73, 336-344. https://doi.org/10.1016/j.chb.2017.03.056
Wang, P., Wang, X., Wu, Y., Xie, X., Wang, X., Zhao, F., Ouyang, M., & Lei, L. (2018). Social networking sites addiction and adolescent depression: A moderated mediation model of rumination and self‐esteem. Personality & Individual Differences, 127, 162–167. https://doi.org/10.1016/j.paid.2018. 02.008
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